Présentation de Embrume (Retour au sorcier)


Depuis combien de temps suis-je lĂ , Ă  errer dans cette forĂȘt infinie? J'entends les feuilles mortes se briser sous mes bottes, par centaines. Je les entends, mais je ne les vois pas. Autour de moi il n'y a que la brume. La brume et la douleur.

Et le sang qui coule de ma blessure. Il coule et je sais qu'il teinte les feuilles fanées sur mon passage. Mais je ne les vois pas devenir vermeilles.

Autour de moi il n'y a que la brume.



Cette brume, je m'en souviens, c'était levée lorsque la bataille cracha son dernier souffle. Quand le dernier guerrier fut tombé, moi seul était encore debout et tout ce dont je me souvienne vraiment, c'est de ce voile gris devant mes yeux.

Qui était le dernier tombé? L'un des miens? Un ennemi? Par les dieux, son visage devrait me hanter mais je n'arrive pas à me le remémorer. Si je marche, il reviendra. Je le sais, je dois continuer.



Je dois continuer ou mon sang attirera les bĂȘtes. Les corbeaux, les loups et bien pire encore. On dit que ces bois sont peuplĂ©s de monstres trĂšs anciens, reptiles effroyables nĂ©s de la magie et de la brume.

Les corbeaux, les loups et les sarpants, tous me suivront si je n'avance pas.

Je dois continuer, mais cette forĂȘt n'en finit pas. Il faudra bien que les arbres disparaissent Ă  un moment. La mer doit ĂȘtre proche, car la brume est chargĂ©e de sel et d'iode. Les embruns me narguent, crachant leur sel dans mes plaies Ă  vif comme autant de morsures de serpents. Si j'avance, les bĂȘtes ne m'auront pas. Autour de moi, il n'y a que la brume. La brume et cette douleur lancinante ravivĂ©e par le sel.



Avant que tout ne commence j'aimais tant cette mer, et cette odeur d'iode. La maison n'Ă©tais pas si loin de la plage. Avec mon Ă©pouse, nous aimions regarder les vagues lointaines sous le soleil qui se couchait. Et puis la mer Ă  charriĂ© cette armĂ©e cruelle. Elle l'a jetĂ©e comme la forĂȘt vomit ses loups, jetĂ©e contre mon bonheur simple, contre la petite vie paisible de ma famille, contre la sĂ©rĂ©nitĂ© de mon peuple tout entier. Reverrais-je un jour ma bien aimĂ©e et ma maison au dessus des falaises? Ou vais-je me coucher, englouti par cette forĂȘt sans visage comme le soleil derriĂšre la mer?



Je marche dans la forĂȘt, sans voir oĂč je vais et mes pas s'alourdissent. Mon sang commence Ă  manquer pour colorer ces feuilles que je ne vois pas. Mes bottes ont broyĂ© des feuilles par milliers, mais je vais m'arrĂȘter.

Je n'ai plus de force, plus de sang. Pardonne moi Arlena, je ne trouve plus la maison. Je ne vois rien dans la brume et la douleur... rien... sauf ces grands yeux verts.

Un sourire aux crocs longs et fins comme autant d'Ă©pĂ©es se dessine devant moi. DerriĂšre lui il y a de longues cornes si hautes qu'elles ressemblent Ă  deux troncs d'arbres dans la forĂȘt. Il fait chaud maintenant et le sel ne me brĂ»le plus. Un souffle chaud panse mes plaies. Un murmure chaud ronronne, paisible.

Je me sens bien.











La guerre qui déchira mon village est loin maintenant, mais je ne l'oublierai jamais. Je n'oublierai pas les pleurs de mon aimée lorsque je quittai la maison pour défendre nos terres. Je n'oublierai pas les miens, tombés au combat par milliers. Je n'oublierai pas ce visage, figé sur mon épée.

C'est moi qui ai tuĂ© le dernier ennemi. Ses yeux Ă©taient aussi grands et suppliants que ceux de mes amis tombĂ©s avant lui. La guerre est une horreur sans nom, qui ronge les hommes depuis si longtemps. VoilĂ  ce que ces yeux lĂ  m'ont appris. Moi, le dernier survivant, j'Ă©tais blessĂ©. BlessĂ© dans ma chair comme dans mon Ăąme. J'aurais du mourir avec tous les autres, mais mon heure tardait a venir et je suis allĂ© errer dans cette forĂȘt brumeuse. J'aurais du y mourir.

Mais le soleil a chassĂ© la brume et Arlena m'a retrouvĂ©, inconscient mais indemne. Mes vĂȘtements Ă©taient en lambeau mais mon corps n'avait aucune injure. Elle aurait sans doute voulu me poser beaucoup de questions, mais quelque chose dans cette forĂȘt calme, bercĂ©e de lumiĂšre, appelait au silence. Ensemble, nous avons simplement repris la marche, piĂ©tinant par centaines les feuilles mortes que l'automne sait si bien peindre de milles tons vermeils.



J'étais si proche de la maison, et je ne la quitterai plus désormais. La guerre est si loin maintenant.