Dans un monde lointain où souffle la magie, d'immenses dragons règnent en maitres dans les cieux.
on dit que les dragons grandissent toute leur vie, pouvant atteindre des dimensions colossales tant leur longévité semble sans fin. si ceci est vrai, leur grandeur affecte tant leur corps que leur esprit et les plus anciens sarpants montrent une sagesse considérable.
cependant, il n'est aucun bien sans mal, aussi la clarté de leur pensée est-elle habituellement embrumée par une férocité instinctive remontant à la nuit des temps.
ainsi sont les anciens dragons, et Aezureus est de ceux-là .
premier dragon des hautes falaises et dieu vivant parmi les créatures pensantes, le Bleu Rampant veille sans relâche sur les jeunes dragons qui lui font confiance.
Maitre bienveillant mais austère, il aime maintenir son pouvoir sur les siens, pourtant sa vie entière est acquise à leur protection.
L'âme d'Aezureus est liée à celle de la sorcière Skrittnar.
« Ô seigneur sarpant, tu es à ce point immense que je ne te voyais pas. Tes dents sont plus longues que je ne suis haute, et ton œil ressemble un astre dans dans le ciel bleu... si haut et si loin.
Dis moi, vas tu me manger? Je suis épuisée, je ne fuirai pas.
-minuscule chose, je pourrais te manger, mais à quoi bon? Nous sommes morts tous les deux. Je n'ai pas faim. Une éternité que je suis ici, des éons, mais tu es trop petite, trop éphémère. Moi non plus je ne t'avais pas vue.
-mais n'as tu pas besoin de nourriture? Si vraiment tu es là depuis si longtemps... je sais mon insignifiance, toute ma vie j'ai pu la mesurer crois moi. Mais quand même... ne suis-je rien à ce point là ? Ne puis-je pas même offrir mon sang comme repas à une noble créature?
-quelle insolence... n'as tu donc pas peur? Les tiens ne demandent pas à être mangés!
-bien sûr que si, j'ai peur.
-alors pourquoi reste tu ici à attendre?
-c'est que... j'ai l'habitude. J'ai eu peur toute ma vie, mais je croyais que cela cesserait avec la mort. Mais si je suis morte, pourquoi connaître encore l'effroi, le chagrin ou la douleur? Je voudrais que tout s'arrête enfin...
Ne peux tu pas me délivrer? Je t'en supplie, puissant sarpant...
-pourquoi es tu venue ici?
-je... je ne savais pas où aller et puis j'ai vu... cette lumière. Il y avait une lumière bleue et c'est comme si elle m'appelait. Et ici autour de toi, tout est bleu, la roche qui te cache au reste de ce monde mort, le ciel si loin dans sa lucarne, et tes écailles qui luisent. Cette couleur est si intense, je crois... c'est comme si elle chassait ma peine. Dans ma tête aussi il n'y a plus que ce bleu sombre et lourd. C'est tellement agréable tu sais, de ne plus penser à rien...
-...
Tu es bien une humaine. Tu ne vois que l'instant présent, et que le mur le plus proche. Ce que je demande, c'est pourquoi tu es ici, dans ce monde.
-oh, je suis ici, je crois, parce que j'étais trop faible pour rester dans le monde des vivants. Mon maitre, il... il le savait bien pourtant, mais... il m'a gardée auprès de lui et j'en étais heureuse. Mais j'ai trahi sa confiance. C'était trop dur de le servir, et puis j'ai douté de lui. Il attendait mon aide, il avait disparu et j'ai cru... je suis venue ici pour le trouver mais je ne le reverrai jamais plus. Lui il... je me suis rendue compte qu'il n'était pas là ... il ne peut pas mourir. C'est là toute la force de sa magie. Et toute la force de ma peine. Si seulement j'avais cru en lui, je ne me serais pas égarée dans les ombres sans possible retours.
…
si je ne peux plus le revoir...
je voudrais que tout cesse, maintenant. Je suis seule, toujours. J'étais déjà seule à ses côtés mais au moins je pouvais le voir et lui offrir le peu que je représente. C'était tout ce que j'avais mais je l'ai perdu, alors je t'en prie, fais que tout s'arrête. Je sais que tu en es capable, que ça ne te demandera aucun effort, rien qu'un souffle pour soulager une vie dérisoire...
-je le pourrais... mais je ne le veux pas.
-mais... pourquoi?
je t'en supplie grand dragon, il y a tant de pouvoir autour de toi. Souffle ma vie! Brûle ma peine! tu es mon dernier espoir.
-je ne le veux pas... car je connais ton chagrin.
Moi aussi je suis là parce que j'ai trahi les miens. Ils sont tous morts, tous ces petits êtres si semblables à toi que j'avais juré de protéger. Les ennemis grouillaient comme des fourmis misérables, mais je suis tombé trop tôt et sans même savoir comment. Ils étaient trop nombreux. Je les ai trop sous-estimés. De quel droit pourrais-je te tuer, moi qui suis fautif comme toi?
-quel droit? Tu n'as pas besoin de... s'il te plait, seigneur dragon...
-silence! Tes suppliques ravivent ma propre peine! Mort, je le suis plus que toi. Je pourrais retourner d'où je viens vois tu, car c'est vrai, je suis un être de magie. Mais je ne veux pas. Je ne veux plus voir le sang sur les dalles blanches, je veux oublier mon échec. Ne plus penser à rien, moi non plus. Si toi tu le peux, pour moi c'est impossible. J'entends encore leur agonie qui me poursuit depuis les éons, mais, toi, éphémère, tu es sourde à ce chant.
-je.. je ne savais pas.
-tu n'y es pour rien, ne t'accable pas de malheurs que tu ne saurais porter. nous trainons tous nos propres tragédies, savourons en l'horreur sans en plus peiner de partager celles des autres.
-non, ce n'est pas ce que je... je voulais dire... je ne savais pas qu'un être si puissant pouvait souffrir aussi.
-...
tu as une bien étrange idée de ce qui fait la force ou la faiblesse.
-... mais... je ne suis qu'une poussière et toi tu a l'air si grand, si haut. Mon maitre aussi est trop loin pour moi. J'aurais du le voir et abandonner l'espoir fou de côtoyer ce monde de magie alors que je n'ai aucun pouvoir. Je n'étais pas à ma place mais... même là je... je n'ai pas eu la force de fuir, je suis restée non par prétention ou convoitise, mais par simple faiblesse et... je me suis brûlée à la flamme de ma folie.
-tu me demande de t'éteindre car tu n'as pas le courage de le faire toi même, c'est bien cela? Oui, c'est ce que tu te crois en devoir de demander, mais en as tu réellement envie? Je sens en toi une flamme qui lutte pour exister. Je vois aussi le poids du mépris dont tu n'as cessé de faire l'objet et la cage qu'il a tissé autour de ton âme.
Regarde dans mes yeux, contemple le miroir de ce qu'aucun humain n'est en droit de te prendre, toute ton espèce n'est qu'une répugnante créature, dont aucune cellule ne mérite de toucher à la magie. Tu pourrais disparaître dans un souffle pour échapper à l'arrogante gangrène de ton essence, mais le feu peut aussi guérir le chancre et épurer ta vie. regarde dans mes yeux, pour que seule brûle la lueur que tu devrais encore chercher.
-grand sarpant, ce que tu m'offre je ne le mérite ni ne le veux. Je suis humaine, faible et sans magie de surcroit, mais c'est mon fardeau et je fais avec. Tu dis que je ne dois pas céder à la facilité du néant, dans ce cas je dois chercher encore ce que mon cœur réclame. Mais lui ne veut ni pouvoir ni guérison. Il cogne à ma poitrine pour appeler mon maitre, pour qu'il me pardonne et me reprenne à son côté. Cet
était aussi puissant que je fut insignifiante, pourtant il m'a secourue et gardée auprès de lui. C'est pour ça que je voulais tant le servir. Je devais payer ma dette pour soulager mon âme. Être auprès de lui me rendait heureuse de cette façon, c'était si peu de chose, mais ça comptait tellement pour moi. Seulement j'ai failli, je me suis égarée sur un chemin où il ne viendra jamais et que je ne peux quitter. on ne revient pas du royaume des morts!
-les humains ne voyagent pas mais les dragons le peuvent. Je veux te ramener auprès de ton maitre si c'est tout ce que tu souhaite.
-tu le pourrais?
-oui.
Mais si je le fais, je ne souffrirai pas du résultat misérable d'un bonheur blessé et servile.
Je te donnerai ma magie pour que tu sois plus proche de lui.
-Mais... pourquoi? Pourquoi ferais tu cela?
-Parce que ce sont les plus petites flammes, celle qui menacent de s'éteindre au moindre vent, que les grands sarpants devraient protéger en premier. Je n'ai plus vu la couleur de l'espoir depuis bien longtemps et je me demande si toi tu l'as jamais contemplée vraiment, cette petite lueur blanche dans l'obscurité rampante. Je n'ai pas su protéger les miens, j'ai contemplé leur brusque agonie et fais coulé le sang de leurs ennemis pour la noyer de douleur. J'ai échoué, ma mort couronnant un hideux et inutile carnage. Et puis j'ai attendu, goutant à une solitude millénaire et sans taches. mais aujourd'hui tu es là , chose minuscule au bord du néant. tu m'a demandé de l'aide et je veux te sauver. Je peux peut-être me faire pardonner avec toi.
-alors tu veux bien... tu vas vraiment me ramener et..., je... je reverrai mon maitre?
-oui.
-mais et toi? Tu ne seras pas seul? Si tu me libère... si plus personne ne vient, attiré par la lumière...
-tu as enfin compris? Il ne suffit pas d'être fort ou de connaître la magie pour échapper à la souffrance. La solitude fut ma condamnation et ma douleur, mais ne t'inquiète pas... si je t'aide, j'y échapperai.
Si je t'aide, je serai avec toi.
-avec... moi?
-oui.
Pour cela, tu dois simplement me donner un nom.
-...
d'accord. Je vais te trouver un nom. Il faut qu'il te ressemble. Un nom qui soit haut comme le ciel, qui réponde à cette couleur d'océan profond qui m'a attirée auprès de toi, qui émane de toi et efface tout autour, toutes les peines.
Alors si tu le veux bien, tu t'appelleras...
Aezureus.
-ce nom dans ta voix fait écho à mon âme. Tu as bien choisi et je l'accepte.
Maintenant nous sommes liés.
-pour toujours?
-pour toujours.»
qui sauve un dragon de la mort lie son âme à la sienne. Si tant de gens parmi les plus grands sorciers et les plus puissants guerriers connaissent cette règle c'est qu'elle est la clé du plus grand des pouvoirs.
Au dire des sarpants eux même, les humains sont indignes de la magie et ne peuvent la posséder vraiment que si un dragon leur en fait don.
Tant d'illustres héros, et autant de fourbes âmes ont sillonné les terres, les cieux et les océans pour trouver la bête acculée, mourante avec qui conclure le pacte qui a l'un rendra la vie et à l'autre donnera le pouvoir.
Pacte de haine et d'amertume le plus souvent, car obtenus dans le sang et sans autre choix pour le sarpant.
Aezureus, fier et gigantesque, était de ces dragons de légende qui échappaient à cette traque. Même les plus fous des hommes savent que pareille créature, égale des dieux, n'est pas imaginable comme objet de quête.
Le jour ou le Bleu Rampant s'écroula au milieu de ce champ de bataille, noyant le corps des elfes qu'il voulait protéger d'une mer de sang brûlant, nulle âme encore vivante, amie ou ennemie ne songea à le secourir. En réalité nulle ne cru à ce moment là que l'effroyable sarpant pouvait connaître la moindre menace. Aezureus quitta le monde vivant sous des centaines d'yeux aveuglés par sa puissance démesurée, et l'on ne comprit qu'il n'était plus qu'une fois la bataille morte également.
À ce moment là encore le plus grand des dragons qui ait jamais survolé les hautes falaises pensait que jamais de son existence il ne lierait son âme avec aucune traitre créature, tant il les haïssait de l'avoir abandonné et plus encore d'être le fruit de son échec et de ses regrets.
La suite de l'histoire lui prouva qu'aucune sagesse aussi ancienne fut-elle n'est à l'abri ni de l'erreur, ni du salut.
L'humaine qui vint à lui, par hasard ou mue par le destin, était misérable dans son chagrin, écrasée par le poids d'un amour si grand qu'il en était devenu auto-destructeur. Son adoration pour le sorcier qui l'avait recueillie était telle qu'elle s'était seule persuadée de ne pas le mériter, une croyance qui fit d'elle une créature de faiblesse, prompt à douter et à se laisser consumer par milles émotions contradictoires. Dans l'état où il la rencontra, Aezureus découvrir un être déjà mort, longtemps avant d'avoir franchi les portes où elle croyait sauver celui qu'elle aimait et où elle manqua de le perdre à jamais.
Ce spectacle pathétique au delà de tous raviva la mémoire blessée du sarpant. Réveillé par l'âme en peine, il vit en elle seule une douleur aussi lourde que fût celle de tout ce peuple, mort avec lui même.
Ce fut cependant l'opportunité qui les sauva tous les deux. Ayant de nouveau un être à protéger et un objet de pardon, Aezureus reprit goût à la vie. D'une étrange manière, la jeune
venait d'arracher le plus grand des dragons aux griffes de la mort et devint ainsi son âme liée.
Si leur histoire est à ce point unique en ce monde, c'est que lorsqu'ils tissèrent leur pacte d'âme et de sang, la dragonnière naissante n'avait aucune conscience du pouvoir qu'elle y gagnait.
Elle n'avait accepté l'aide du dragon au lieu de l'appel du néant que par amour pour son maitre et pitié pour le sarpant dont elle avait fini par voir la souffrance.
Lorsqu'Aezureus pu enfin contempler pleinement son âme liée, il y vit cette improbable innocence qui faisait de lui non pas un prisonnier, mais un protecteur.
Alors il sût que l'espoir venait de renaitre.